Depuis le second semestres 2023, le GRCS a une nouvelle commission de travail sur la transition écologique. Ce choix est motivé par le sentiment que le GRCS doit être proactif sur ces questions, avant d’y être contraints réglementairement. Au-delà des actions que nous allons vous proposer pendant l’année, nous essaierons de vous relayer régulièrement via la lettre d’info, des témoignages, des outils ou tout autre ressource qui peut être pertinente dans la gestion de vos centres.
Ce mois-ci, nous avons le plaisir d’avoir le témoignage de Benoît Blaes, médecin généraliste au Centre de santé Le Jardin, à Bron. Nous avons souhaité l’interroger plus particulièrement sur l’enjeu de l’éco-prescription.
Peux-tu te présenter Benoît ?
Je suis médecin généraliste en centre de santé planétaire et communautaire. J’ai démarré en cabinet libéral, mais j’ai rapidement eu le sentiment que ce n’était pas là où j’étais le plus utile.
Après une première expérience en centre de santé communautaire en région parisienne, j’ai eu besoin d’intégrer les enjeux d’écologie dans ma pratique. C’est comme ça que j’ai proposé à Gwenaëlle qui souhaitait monter un centre de santé communautaire en région lyonnaise, d’y intégrer la santé planétaire.
Les allers retours constants entre les enjeux écologiques et l’accessibilité aux soins, sont donc la spécificité de notre centre de santé.
Pour rappel : La santé planétaire est un domaine médical fondé sur les preuves, centré sur la caractérisation des liens entre les modifications des écosystèmes dues aux activités humaines et leurs conséquences sur la santé. Son objectif est de développer et d’évaluer des solutions pour contribuer à un monde équitable, durable, et sain.
La définition se trouve sur le site du Collège de médecine générale : la santé planétaire est basée sur les preuves, c’est une démarche scientifique. Retrouvez l’article complet ICI.
Aujourd’hui, on aimerait mettre en lumière des actions dont les professionnels de santé peuvent s’emparer pour que leur pratique soit plus écologique. Parmi les mesures concrètes que vous mettez en place au centre de santé de Bron, il y a l’éco-prescription. Peux-tu nous en dire plus ?
Oui. Effectivement, en ayant une approche scientifique et si on se réfère au rapport du SHIFT (think tank , association Loi 1901, qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone). La moitié des émissions carbones émises dans le secteur de la santé sont des émissions indirectes des prescriptions. Notre plus gros levier d’action se situe dans nos prescriptions. Nous pouvons agir directement en interrogeant la façon dont on prescrit. Pour faire cela, il faut s’informer régulièrement, partager les bonnes pratiques et s’appuyer sur des données actualisées et indépendantes : plus on est rigoureux, plus on va arriver à réduire le nombre de prescriptions ! On peut s’appuyer sur des revues comme Prescrire° ou Exercer° ou encore avoir recours à des outils d’aide à la prescription comme Antibioclic.
Le travail en équipe avec les autres médecins est également un levier pour revoir ses pratiques de prescriptions : on partage, ça peut permettre aussi d’harmoniser les messages et de se mettre d’accord sur des prescriptions types raisonnées dans de nombreuses situations cliniques.
Si je comprends bien, l’objectif est de ne pas prescrire automatiquement des médicaments lors des consultations, j’imagine que cela peut-être déroutant pour la patientèle du centre ?
Au sein du centre, notre approche est de construire la décision médicale de façon partagée, de discuter donc avec les personnes à ce qui nous pousse ou pas à prescrire. Nous partageons tous et toutes cette même réflexion, la communication est un enjeu d’équipe mais également avec le.a patient.e
La pédagogie en consultation est un point essentiel. Expliquer son raisonnement permet au patient de comprendre pourquoi on ne prescrit pas. Par exemple, très concrètement, pour le rhume, il faut prendre le temps d’expliquer qu’il s’agit d’un virus et parfois utiliser des images, comme dire qu’il est à l’intérieur de la cellule et que l’antibiotique lui va agir à l’extérieur, donc inutile.
Quand on explique la démarche, je dirais que dans la moitié des cas les patients la partagent complètement. L’autre moitié va comprendre, mais leur attente sera néanmoins d’avoir un traitement miracle. Notre rôle est aussi de les accompagner à faire le deuil de la solution magique. Je considère que mon rôle en tant que médecin est aussi de les protéger des médicaments plus dangereux qu’utiles, de l’industrie et ses effets néfastes.
Il y a enfin une toute petite partie qui n’adhère pas du tout : c’est là où il faut arbitrer. Il faut évaluer la dangerosité de la prescription et en fonction, prescrire ou pas. Mais il faut être vigilant à ne pas créer des situations de tensions qui persistent, qui pourraient nuire trop gravement à l’alliance thérapeutique. La clé c’est vraiment l’explication et la négociation.
Il est par ailleurs démontré que plus les consultations sont courtes, plus il y a de prescriptions (notamment d’antibiotiques ou de psychotropes). A l’inverse, plus la consultation est longue et plus on échange avec le patient, moins on prescrit.
Le.a patient.e peut être pris en charge différemment suite à ces consultations ?
Oui, nous proposons une offre de soins collective qui comporte des ateliers thématiques par exemple. Ce sont des interventions non médicamenteuses où l’on échange concrètement sur tout ce qui contribue au soin mais qui n’est pas un médicament, comme par exemple :
– des activités pour rompre l’isolement (des balades, des café santé, des temps créatifs pour développer le lien social)
– des activités pensées pour comprendre la santé – dépistages, tension, diabète,.. Les ateliers naissent des besoins exprimés par les usagers.
– Une offre de soins collective sur les troubles chroniques du sommeil ou encore pour les douleurs chroniques. Nous venons de débuter un atelier co-construit avec une médiatrice paire en santé mentale autour de la dépression.
Ces ateliers naissent des besoins exprimés par les patients. L’idée sous-jacente est que plus on arrive à répondre à des problématiques à travers les ateliers, de l’écoute, de l’activité…moins on aura besoin de s’appuyer sur les médicaments. C’est entre autres sur ce point que l’approche communautaire et planétaire se rejoignent.
Merci pour ces éléments Benoît. Tu fais partie de l’association Alliance Santé Planétaire, est-ce qu’aujourd’hui vous accompagnez ou transmettez votre expérience ou savoir à d’autres médecins qui seraient intéressées ?
La démarche de transmission n’est pas – encore – formalisée de cette façon car l’association est créée depuis 2021. Aujourd’hui c’est plutôt au sein de l’association que nous échangeons, qu’on partage les ressources. Il n’y a pas encore de contenus structurés mais sur les réseaux Discord ou Signal ou même sur notre site, il y a beaucoup d’informations et de ressources qui sont partagées chaque jour.
Personnellement, lorsque j’ai décidé de changer de structure, c’est parce que je ne voulais pas porter cette ambition seul. Il faut trouver des alliances dans la structure, ou dans ta ville ou encore au niveau local et régional !
Au Jardin, on essaie toujours de trouver un moment pour rendre les visites sur site possible, pour donner envie à d’autres personnes de se lancer.
Vous pouvez (re)lire l’article que nous avons fait à l’ouverture de ce centre, pour rebalayer les notions de santé planétaire.